Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 janvier 2015 2 13 /01 /janvier /2015 17:50
Projet culturel ATS : La guerre dans le viseur !

Partager cet article

10 février 2014 1 10 /02 /février /2014 14:09

Intentions / Objectifs : Comme les trois années précédentes, ce projet s’inscrit dans la volonté affirmée de faire de la classe ATS (Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles ouverte aux détenteurs d'un BTS ou d'un DUT, donc Bac + 3) une classe ouverte sur la vie culturelle locale. Il permet d’élargir la culture générale des étudiants, ce à quoi nombre d’écoles d’ingénieurs sont très sensibles.

   Cette année, la Russie est à l'honneur...

Programme

1) Oblomov, librement adapté du roman de Ivan Gontcharov. Conception et mise en scène de Dorian Rossel.

   Oblomov, anti-héros russe, refuse tout et s’enferme dans sa chambre. Incapable de prendre des décisions ou d’effectuer la moindre action importante. Nonchalant, paresseux, fataliste.
   Mais Oblomov n’est pas un adolescent contemporain, Oblomov est le héros d’un roman de 1859, l’une des figures mythiques de la littérature russe. Aristocrate oisif, il est, dans la culture slave, le prototype de l’homme paresseux et médiocre, qui a renoncé à ses ambitions pour une léthargie rêveuse.
   Un siècle et demi plus tard, cette figure est-elle encore d’actualité ? On pense alors à ces jeunes Japonais qui vivent reclus et que l’on appelle les « hikikomori ». Combien d’Oblomov, autour de nous, qui cultivent la flânerie, la résistance passive ou la dépression pour échapper aux luttes de pouvoir ? Ce droit à la paresse révèle un profond mal-être dans une société sans sens.
  Si Oblomov n’a plus de force, avec cette nouvelle adaptation les acteurs vont nous donner un coup de fouet !

   Une pièce qui rejoint évidemment le thème du programme annuel, le temps vécu : la paresse n’est-elle pas une manière de vivre le temps ??

Mercredi 5 février à 19h30 / Grande salle de la Comédie

Durée : environ 2h

 2) Les Enfants du soleil, d’après Maxime Gorki. Adaptation et mise en scène de Mikaël Serre.

Un monde malade. Une élite impuissante à développer une voie alternative. Un grand classique de la littérature russe, adapté par un artiste d’aujourd’hui. L’auteur situe sa pièce en 1862, durant l’épidémie de choléra, l’une des plus mortelles qu’ait connue la Russie. Dans la maison du scientifique Protassov et de son épouse Elena vivent l’artiste Vaguine qui est amoureux d’Elena, la riche veuve Mélania qui à son tour aime Protassov, et le vétérinaire, Tchepournoï qui aime depuis longtemps Lisa, la sœur de Protassov. Tous sont à la recherche d’un accomplissement et d’une vie meilleure.

Les Enfants de Gorki sont en récession, en faillite et ceux qui devaient prendre la relève s’écroulent. Ils prennent parti mais finissent par se démobiliser. Ils pensent que la science, l’art, l’amour peuvent nous sauver et former une sorte de politique poétique. Si ce n’est pas le choléra qui frappe à nos portes de nos jours, comme chez Gorki, c’est une autre maladie qui nous guette, comme celle décrite par l’artiste Joseph Beuys dans un entretien de 1984 : « J’en arrive aujourd’hui à la conclusion que le foyer de la maladie réside dans l’argent ».

Mardi 18 février à 20h30 + Mercredi 19 février à 19h30 / à L’Atelier

(2 groupes d’environ 20) / Durée : 1h45

------------------------------------

La version de référence du roman, intégrale ! Traduction : Luba Jurgenson.

La version de référence du roman, intégrale ! Traduction : Luba Jurgenson.

Un extrait du roman adapté pour le spectacle : Prologue 2 Oblomov et NarrateurS (c'est une des originalités de cette adaptation que de proposer une vision chorale d'un personnage ou d'une instance, ce qui permet de visualiser la notion même de débat de conscience, de multiplicité intérieure)

Oblomov : Ce jeu perpétuel de petites passions minables... Cette course perpétuelle à tombeau ouvert... Et surtout la rapacité, les crocs-en-jambe qu’on n'arrête pas de se faire... Ces passages en revue de la tête aux pieds... À les voir, les gens, on dirait... Ils ont l’air si profonds, une mine si grave. Mais qu’est-ce qu’on entend : « L’ennui » /// « l’ennui» /// « l’ennui ! »

Mais où est l’homme là dedans ? Où est son entité ? Où s’est-il caché ? Disparu ? Eparpillé en des broutilles ?...

Le monde... La société... On fait exprès de m’y envoyer dans le monde ! Pour m’enlever encore plus l’envie d’y être.

Elle est belle la vie ! Que veux-tu qu’on y cherche ? Des intérêts de l’esprit ? Du cœur ? Mais où est l’axe autour duquel tout ça est en train de tourner ?

Il n’y en a pas, il n’y a rien de vivant, rien qui vous touche.

Tous des cadavres, des gens qui dorment, bien pire que moi, ces gens du monde et de la société !

C’est vrai, ils ne restent pas couchés, ils marchent et courent, toute la journée, d’un coin à l’autre comme des mouches, et ça bourdonne, ça bourdonne. Mais est-ce ce que ce ne sont pas des cadavres ? Est-ce qu’ils ne dorment pas, assis qu’ils sont toute la journée ? En quoi suis-je plus coupable qu’eux quand je reste couché sans m’empoisonner la tête avec leurs discours ? C’est ça des êtres vivants, éveillés ? Ils se rassemblent pour un repas, pour une soirée comme ils vont au travail, sans gaîté, sans chaleur, pas une lueur de sympathie ! Mais qu’est-ce que c’est que cette vie ? Je n’en veux pas, moi. Qu’est-ce que j’y apprendrais, qu’est-ce que je pourrais en retirer ? Qu’ils aillent au diable... Moi, je les laisse tranquilles mais je ne trouve pas qu’ils mènent une vie normale. Non, ce n’est pas une vie normale, c’est une déformation de la vie. Zakhar ! Moi, je reste chez moi, je dois finir mon plan...

NarrateurS : Mais qu’est-ce qu’il y a dedans ? C’est quoi ton plan ?

Oblomov : Rentrer dans mon domaine à Oblomovka.

NarrateurS : Qu’est-ce qui t’en empêche ?

Oblomov : Le plan n’est pas fini, je m’installerai dans une maison neuve, aménagée pour la tranquillité... Le matin, je me lève Il fait un temps splendide, un ciel tout bleu et sans nuage. En attendant que ma femme se réveille, je mets ma robe de chambre et je vais faire un tour au jardin, dont les arômes m’enivrent. Là, le jardinier arrose les fleurs, taille les haies, je compose un bouquet pour ma femme. Après, je me baigne à la rivière et, quand je reviens, sur le balcon, ma femme est là, en chemise de nuit « Le thé est prêt ». Oh, ce baiser ! Je m’installe à la table dans un fauteuil moel- leux : des biscuits, de la crème, du beurre frais... Ensuite, on se promène, tranquillement, comme dans un rêve, sans rien se dire, on compte les minutes de bonheur comme le pouls qui bat. On recherche l’écho d’une émotion dans la nature... La vie comme ça, c’est de la poésie et les hommes passent leur temps à la défigurer. A la cuisine, pendant ce temps-là, ça chauffe... les couteaux claquent... on hache le persil... deux-trois autres amis de confiance arrivent, toujours les mêmes qui portent sur nous des regards bienveillants. On dis- cute, on rigole, un ange passe et l’on n’a pas peur du silence. C’est la plénitude des désirs satisfaits, une méditation de la jouissance... Puis on va dans les champs, on s’allonge sur le foin fraîchement coupé et on somnole. Au loin on entend déjà revenir nos paysans et lorsqu’ils nous aperçoivent, ils nous saluent, portant leur faux sur leur épaule. Mais la nuit tombe déjà, alors on rentre, on repasse à table, puis on écoute de la musique, la Casta diva de Bellini et on se prélasse en écoutant...

NarrateurS: Quoi d’autre ?

Oblomov : Rien, c’est tout. Et toute la vie pareil. Jusqu’aux cheveux blancs, jusqu’à la tombe. C’est ça la vie !

NarrateurS : Non, ce n’est pas la vie. C’est de l’oblomovisme.

-Noir- - Musique -

---------------------------------------

Autour d'Oblomlov et de l'oblomovisme

   Le terme d'oblomovisme, que Gontcharov place dans la bouche de Stolz, l'ami fidèle d'Oblomov, qui tente de le "guérir", a été repris par le critique littéraire russe Nikolaï Dobrolioubov qui, à la fin de son article titré "Qu'est-ce que l'obromoverie ?" conclut ainsi :

   « En chacun de nous il y a une bonne part d'Oblomov et il est trop tôt pour prononcer son oraison funèbre. »

   Selon Wikipédia, l'oblomovisme ou encore oblomoverie est un mélange d'apathie, de léthargie, d'inertie, d'engourdissement, de rêverie inactive, qui se manifeste dans l'horreur du travail et de la prise de décision, la procrastination.

   Le terme de "procrastination" est d'ailleurs à la mode, comme en témoigne l'essai de John Perry - un professeur de philosophie (Université de Stanford) non dénué d'humour -  dont vous trouverez la couverture en bas de cet article.

   Le réalisateur russe Nikita Mikhalkov a adapté le roman sous le titre Quelques jours de la vie d'Oblomov (1980, 135 minutes)

 

"Quelques jours de la vie d'Oblomov" dans le volume II consacré à Nikita Mikhalkov chez Agnès b.

"Quelques jours de la vie d'Oblomov" dans le volume II consacré à Nikita Mikhalkov chez Agnès b.

Projet culturel de la CPGE ATS / 2013 - 2014

Partager cet article

20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 23:24

   En ces temps quasi-millénaristes, je vous livre un petit entretien au cours duquel le compositeur Pascal Dusapin parle de la conception de son projet, puis quelques poèmes de Frédéric Nietzsche, souvenirs du beau concert donné à l'Opéra de Reims le mercredi 12 décembre - auquel la classe d'ATS et moi-même avons eu le plaisir d'assister, et deux photographies du chanteur Georg Nigl en scène.

   « Que le ciel vous tienne en joie ! » comme aime à conclure un chroniqueur matinal que j'écoute toujours avec gourmandise.

 

 

O-Mensch-1.jpg

 

mensch2.jpg

 

O Mensch 2

 

mensch3


Partager cet article

4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 15:40

Intentions / Objectifs

   Comme les deux années précédentes, ce projet s’inscrit dans la volonté affirmée de faire de la classe ATS une classe ouverte sur la vie culturelle locale. Il permet d’élargir la culture générale des étudiants, ce à quoi nombre d’écoles d’ingénieurs sont à juste titre très sensibles. J’ai retenu cette année trois spectacles dans la programmation de la Comédie : à nouveau la trilogie de Georg Büchner - qui se déclinera cette année en deux soirées successives - parce qu’il s’agit d’un événement théâtral, et qu’elle met en scène les modalités de la parole, notre thème annuel ; ensuite un spectacle qui mariera philosophie et musique contemporaine ; enfin la première pièce d’un jeune auteur associant marionnettes et vidéo à un étrange imbroglio dans une chambre d’hôtel…

Programme

    Woyceck / Léonce et Léna  de Georg Büchner, mis en scène par Ludovic Lagarde. Deux des trois pièces écrites par ce romantique allemand mort à 23 ans. Les bégaiements et le cauchemar d’un jeune soldat illuminé, d’une part, la fantaisie des amoureux du royaume de Pipi et les balbutiements de la politique spectacle d’autre part.

Mercredi 21 novembre à 19h30 / Grande salle de la Comédie  

Durée : 2h 15

   

    La Mort de Danton, troisième pièce de la trilogie de Büchner. Où les paroles des tribuns s’affrontent en pleine révolution française.

Jeudi 22 novembre à 19h30 / Grande salle de la Comédie

Durée : 1h30

  Comme il s'agit d'une reprise, je renvoie les lecteurs à mon article de l'an dernier sur la trilogie.  Ils y trouveront un extrait de La Mort de Danton, un passage d'un discours effectivement prononcé par Robespierre, passage que Büchner, admirateur et excellent connaisseur de la Révolution française, a inséré dans son texte.


     O Mensch !, poèmes de Frédéric Nietzsche. Musique, conception et mise en scène de Pascal Dusapin, un des plus importants compositeurs contemporains français. 27 pièces, dont 4 interludes pour piano seul pour une traversée de la pensée fulgurante du philosophe allemand. Dialogue entre le chant du baryton Georg Nigl, le piano de Vanessa Wagner, un dispositif électroacoustique et vidéo et des lumières. 

Mercredi 12 décembre à 21h / à l’Opéra de Reims

Durée : non communiquée

 

    La Nuit tombe…texte et mise en scène de Guillaume Vincent. Une première pièce pour un théâtre de situation très inspiré par des cinéastes comme Bergman, Bresson, Buñuel ou Fassbinder. 

Mercredi 13 février à 19h30 / Grande salle de la Comédie

Durée : 1h50

Partager cet article

31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 17:16

   Mercredi 11 janvier, les étudiants de la classe préparatoire ATS ont assisté à la représentation de Woyceck, La Mort de Danton et Léonce et Léna, les trois pièces du romantique allemand Georg Büchner (1813-1837), dans la mise en scène de l'actuel directeur de la Comédie, Ludovic Lagarde. Défi relevé brillamment que celui de porter à la scène les trois œuvres, dans l'intention de donner à voir et à entendre la cohérence profonde de l'univers de ce jeune écrivain passionné par les maladies mentales et par la Révolution française.

   Robespierre-dans-La-Mort-de-Danton.jpg L'unité de la trilogie est aussi dans son rapport à la politique. Ludovic Lagarde a choisi de présenter d'abord la dernière pièce, Woyceck, restée inachevée. Fragmentaire, hallucinée, elle montre la destinée tragique d'un jeune soldat, pauvre diable humilié tour à tour par son capitaine, son docteur, un sergent-major amant de sa femme. Assassiner cette dernière est le terme d'une vie d'exploité, d'aliéné, sans aucune perspective politique ou idéologique. Dans La Mort de Danton, la conscience politique des personnages est au contraire intense, se confond presque avec le sentiment de vivre, mais débouche sur la mort. Enfin, dans Léonce et Léna, la politique est devenue dérisoire satisfaction des petits intérêts personnels : la comédie est une caricature féroce du système politique en place dans la plupart des états allemands de l'époque, et une étonnante anticipation de la politique spectacle...

   Au centre, La Mort de Danton, nourrie d'emprunts et de citations (comme  Léonce et Léna d'ailleurs). Nous voici plongés au cœur de la tourmente révolutionnaire, lorsque Robespierre et ses partisans osent s'en prendre à Danton, tribun redouté, très populaire, mais peu vertueux aux yeux de "L'Incorruptible". Ce talon d'Achille contribue à précipiter sa chute. Pièce étonnante, truffée de discours réellement prononcés par les personnages : Büchner, bien informé, en cite de larges passages. 

   En ces temps de campagne électorale, il n'est pas inintéressant de se souvenir de cette période qui continue de fasciner beaucoup de monde, et il n'est pas interdit de faire quelques comparaisons, rapprochements, pourquoi pas...

   Je vous livre l'un des discours de Robespierre, extrait de l'acte I, scène 3 (p. 55 à 58 / édition GF n°888, traduction de Michel Cadot) :


ROBESPIERRE. – (…) Je vous l’ai déjà dit une fois : les ennemis intérieurs de la république sont divisés en deux camps, comme deux corps d’armée. Sous des bannières de couleurs différentes et par les chemins les plus divers ils se hâtent tous vers le même but. L’une de ces factions n’existe plus. Dans leur affectation délirante ils cherchaient à jeter au rebut comme des faibles d’esprit hors d’usage les patriotes les plus éprouvés pour priver la République des bras les plus solides. Ils ont déclaré la guerre à la divinité et à la propriété pour faire une diversion en faveur des rois. Ils ont parodié le drame sublime de la Révolution pour la compromettre par leurs extravagances calculées. Le triomphe d’Hébert aurait plongé la République dans le chaos à la satisfaction du despotisme. L’épée de la Loi s’est abattue sur le criminel. Mais qu’importe à l’étranger s’il lui reste des criminels d’une autre sorte pour atteindre le même but ? Nous n’avons encore rien fait tant que nous avons une autre faction à détruire. Elle est le contraire de l’autre. Elle nous entraine vers la faiblesse, son cri de ralliement est : pitié ! Elle veut ôter au peuple ses armes et la force de s’en servir pour le livrer nu et énervé aux rois.

   L’arme de la République est la terreur, la force de la République est la vertu. La vertu, parce que sans elle la terreur est nuisible, la terreur, parce que sans elle la vertu est impuissante. La terreur est une émanation de la vertu, elle n’est rien d’autre que la rapide, sévère et inflexible justice. Ils disent que la terreur est l’arme d’un gouvernement despotique, et que le nôtre  par conséquent ressemble au despotisme. Sans doute, mais dans la mesure où le sabre aux mains d’un héros de la liberté ressemble au sabre qui arme le satellite du tyran. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets réduits à l’animalité, c’est son droit de despote, que vous mettiez en pièces par la terreur les ennemis de la liberté, en tant que fondateurs de la République votre droit n’est pas moindre. Le gouvernement de la République est le despotisme de la liberté contre la tyrannie.

   Pitié pour les royalistes ! s’écrient certaines gens. Pitié pour des scélérats ? Non ! Pitié pour l’innocence, pitié pour la faiblesse, pitié pour les malheureux, pitié pour l’humanité. Seul le citoyen pacifique jouit de la protection sociale. Dans une république, seuls les républicains sont des citoyens, les royalistes et l’étranger sont des ennemis. Punir les oppresseurs de l’humanité et de la clémence, leur pardonner est de la barbarie. Tous les signes d’une fausse sensibilité me font l’effet de soupirs poussés en direction de l’Angleterre ou de l’Autriche.

   Mais non content de désarmer le bras du peuple, on cherche à empoisonner par le vice les sources les plus saintes de sa force. C’est là l’attaque la plus subtile, la plus dangereuse et la plus répugnante contre la liberté. Le vice est la marque de Caïn de l’aristocratisme. Dans une République ce n’est pas seulement un crime moral, mais en même temps un crime politique ; le vicieux est l’ennemi politique de la liberté, et plus les services qu’il lui a en apparence rendus sont grands, plus il est dangereux pour elle. Le citoyen dangereux est celui qui use plus facilement une douzaine de bonnets rouges qu’il n’accomplit une bonne action.

   Vous allez facilement me comprendre si vous pensez aux gens qui vivaient autrefois dans des mansardes et maintenant se promènent en carrosse, se livrant à la débauche avec des ci-devant marquises et baronnes. Nous sommes en droit de demander : a-t-on pillé le peuple, a-t-on serré les mains des rois remplies d’or, quand nous voyons des législateurs du peuple parader avec tous les vices et tout le luxe des ci-devant courtisans, quand nous voyons ces marquis, ces comtes de la Révolution faire de riches mariages, donner de somptueux dîners, jouer, avoir des domestiques et porter des vêtements de prix. Nous avons le droit de nous étonner quand nous les entendons inventer de bons mots, faire les beaux esprits et affecter le bon ton. On a récemment parodié Tacite d’une manière éhontée, je pourrais répondre avec Salluste et travestir Catilina ; mais je pense n’avoir plus un trait à ajouter, les portraits sont achevés.

   Pas d’accord, pas d’armistice avec les hommes qui ne pensaient qu’à dépouiller le peuple, qui espéraient emporter impunément ces dépouilles, et pour qui la République signifiait seulement spéculation et la Révolution un métier. Effrayés par le flot tumultueux des exemples, ils cherchent tout bas à refroidir la justice. On pourrait croire que chacun se dit : nous ne sommes pas assez vertueux pour être aussi terribles. Législateurs, philosophes, ayez pitié de notre faiblesse, je n’ose pas vous dire que je suis vicieux, je vous dis plutôt : ne soyez pas cruels !

   Tranquillise-toi, peuple vertueux, tranquillisez-vous, patriotes, dites à vos frères de Lyon que le glaive de la loi ne rouillera pas dans les mains à qui vous l’avez confié. —  Nous allons donner un grand exemple à la République…

Georg-buchner-Pieces.jpg

Partager cet article

16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 19:53

   Dans le cadre du projet culturel de la classe préparatoire ATS, les étudiants ont assisté à la représentation de l'adaptation théâtrale du roman Jan Karski (L'Infini / Gallimard, 2009) de Yannick Haenel. Trois volets pour transmettre le message : une expérience intense, sans concession, qui les a décontenancés par l'absence des dialogues de théâtre attendus, mais qui rejoignait de plein fouet le programme de cette année en Français- Philosophie, la justice. Vous trouverez ci-dessous le montage de documents que je leur avais distribué avant le spectacle. Puisse-t-il vous inciter à lire le livre de l'écrivain après avoir peut-être découvert cette grande figure de la résistance polonaise qu'est Jan Karski. 


Stèle pour Jan Karski

 

L'auteur de Cercle célèbre, avec une justesse bouleversante, le patriote polonais catholique qui a tenté d'alerter le monde sur l'extermination des juifs d'Europe par les nazis.

 

C'est un livre inoubliable. Ecrit à la mémoire d'un homme d'une noblesse et d'un courage exceptionnels, par Yannick Haenel, cofondateur de la revue « Ligne de risque » et auteur, notamment, de « Cercle ». Le nom de cet homme, Jan Karski, est le titre de ce nouveau roman: « J'y tenais, dit-il. C'est un geste philosophique. Il s'agissait pour moi de faire advenir son nom propre, ce que sa délicatesse l'a empêché de faire. Jan Karski pouvait pousser cette délicatesse jusqu'à une réserve quasi masochiste. Une évidence pour qui l'a vu dans "Shoah" ou a lu son livre (1).»

Jan Kozielewski, né en 1914 à Lodz, en Pologne, est mort en 2000 à Washington sous le nom de Jan Karski, son pseudonyme dans la Résistance polonaise. Résistance qu'il a rejointe immédiatement après s'être battu lors de l'invasion allemande en septembre 1939, avoir été déporté un temps par les Soviétiques (merci le pacte germano-soviétique) et s'être évadé. De janvier 1940 à août 1942, Karski, patriote intransigeant, démocrate radical et catholique fervent, sera l'émissaire de la Résistance auprès du gouvernement polonais en exil du général Sikorski, réfugié à Angers puis à Londres. Il prend des risques insensés. Arrêté et torturé par la Gestapo en mai 1940, il tente de se suicider. La Résistance réussit à l'arracher in extremis à ses tortionnaires, et il replonge dans la lutte.

Fin août 1942, Jan Karski va faire la rencontre qui va changer sa vie à jamais. Deux chefs de la résistance juive de Varsovie, un responsable du Bund, l'Union socialiste juive, et un leader sioniste, lui demandent de transmettre aux Alliés et aux responsables juifs du monde entier un message affreusement simple : faites quelque chose, tout de suite. L'Allemagne nazie, lui disent-ils, sera défaite, la Pologne revivra, mais, « nous, les juifs, nous ne serons plus là. Notre peuple tout entier aura disparu ».

Par l'intermédiaire de ces hommes, Jan Karski entrera par deux fois dans le ghetto de Varsovie, puis dans un camp d'extermination qu'il croit alors être celui de Belzec (en fait, il s'agissait du camp proche d'Izbica Lubelska). L'horreur qu'il découvre dépasse l'entendement. Dès lors, Karski n'a plus qu'une idée : transmettre le message qui lui a été confié. A Londres, à Washington, à New York, les plus hauts responsables politiques, notamment le président Roosevelt, les dignitaires des communautés juives l'écoutent, sans vraiment arriver à le croire. Karski comprend vite que, sur l'échiquier mondial où les Occidentaux et l'URSS sont provisoirement alliés pour vaincre Hitler, la Pologne et les juifs d'Europe ne pèsent pas lourd. De mars à août 1944, alors que l'industrie de mort nazie s'accélère, à New York Jan Karski dicte son livre et raconte ce qu'il a vu (l'ouvrage connaîtra un immense succès). Mais rien ne change dans la stratégie des Alliés, tandis que de l'autre côté de la Vistule les Russes assistent au massacre sans bouger : « Mes paroles avaient échoué à transmettre le message, mon livre aussi.»

Dès lors, « l'Homme qui avait voulu empêcher l'Holocauste », pour reprendre le titre d'une biographie américaine, se taira, poursuivant une carrière d'enseignant dans une université américaine, jusqu'à son entretien avec Claude Lanzmann dans « Shoah ». Comme Jan Karski s'était effacé devant le message dont il était le porteur, Yannick Haenel s'est à son tour effacé devant Karski, pour devenir, dit-il, « le messager du messager », dont le nom figure désormais parmi ceux des Justes des nations, au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.

* * *

Source / BibliObs / 27-08-09

 

Entretien avec Yannick Haenel

Le Nouvel Observateur. - Quand vous est venue l'idée de ce livre ?

Yannick Haenel. - Quand j'ai vu « Shoah », il y a sept ou huit ans avec, au bout de huit heures de film, l'apparition de Jan Karski. Et de sa solitude. Dans ce film, il y a des témoins et il y a un messager. Qui délivrait l'impossibilité d'un message.

N. O. - C'est-à-dire ?

Y. Haenel. - Pour moi, si Jan Karski est le témoin de quelque chose, c'est moins, si j'ose dire, de la Shoah que de l'organisation d'une surdité liée à la passivité des Alliés, qui sans doute est allée jusqu'à la complicité. Il y a chez lui une expérience immédiate et incontestable de ce qu'il en a été à un moment - documentation à l'appui - d'un pacte implicite entre les Alliés de laisser faire, pour toutes sortes de raisons. Quand j'ai vu Jan Karski, je me suis tout de suite posé la vieille question de Sartre au début de « l'Idiot de la famille » : « Que peut-on savoir d'un homme ?» Ce qui a immédiatement activé une immense curiosité pour sa vie, dont le réel événement, à mes yeux, est le mutisme dans lequel il s'est enfermé de la fin de la guerre jusqu'à son entretien avec Lanzmann. À l'évidence, le sujet était là. Comment cet homme a-t-il pu vivre de 1945 jusqu'à sa mort, en 2000, avec un tel savoir sur la criminalité inhérente à l'espèce ? Pour moi, Jan Karski avait en lui la boîte noire de l'histoire du XXe siècle, quelque chose qui nous force encore à penser que l'extermination des juifs d'Europe ne concerne évidemment pas seulement les juifs, mais met en cause l'idée même d'humanité.

N. O. - Votre livre est en trois parties. Seule la dernière, où vous imaginez ce que Karski a pu vivre pendant son silence, explique que vous le qualifiez de roman. Pourquoi cette structure ?

Y. Haenel. - C'était la seule façon d'être à la hauteur de l'intégrité du personnage. J'estimais qu'il fallait présenter Jan Karski tel que lui-même l'avait fait, d'abord dans « Shoah » - c'est le premier chapitre - puis à travers ce qu'il a écrit. A partir de là, le lecteur pouvait recevoir ce que j'appelle ma « fiction intuitive ». Il y avait là une question d'éthique narrative, de justesse, ou de justice. Ce saut dans la fiction n'avait qu'un but : tenter de trouver un équivalent au silence de Karski. Il ne s'agissait pas pour moi de me mettre à sa place, ni même de le faire parler. Dans cette dernière partie, c'est sa nuit blanche qui parle. Quand je l'ai vu dans « Shoah », je me suis dit : « Cet homme n'a plus dormi depuis 1945.»

N. O. - Vous rapportez cette phrase extraordinaire qu'il a dite un jour à Elie Wiesel : « Je suis un catholique juif »...

Y. Haenel. - Phrase infinie...

N. O. - La pensée juive était déjà présente dans « Cercle », dont le narrateur finissait sa quête spirituelle en Pologne, dans la région de Lublin, terre des grands maîtres du hassidisme...

Y. Haenel. - Le projet de « Ligne de risque » est sous-tendu par un souci spirituel qui pourrait se dire ainsi : « Comment passer de la position catholique à la position juive ?» Ce qui nous intéresse, pour parler en termes deleuziens, c'est le devenir juif de l'écriture.

Il ne s'agit pas de s'efforcer vers ça, mais de comprendre comment, dès qu'on est confronté à une expérience de langage, de parole, on est forcément déjà travaillé par cette question. Les nazis ont non seulement voulu exterminer les corps juifs, mais aussi transformer en fosse commune la spiritualité dont ils étaient porteurs, que ce lieu de parole n'existe plus. Pour moi, qui suis de culture catholique, ce que j'appelle le devenir juif, c'est le saut vers la conscience de ça.

N. O. - Contrairement à nombre de résistants polonais, souvent antisémites, Karski ne distingue jamais les juifs des Polonais dans leur ensemble. Mais il comprend très vite la spécificité de l'extermination dont ils sont l'objet...

Y. Haenel. - Jan Karski est une singularité. Quelqu'un dont le sillage est celui d'un Juste, de quelque chose que je ne pensais même pas possible. C'est-à-dire un innocent, quelqu'un qui vit dans l'indemne : il n'est pas avili. Mais je veux être clair sur ce point : il ne s'agit pas pour moi d'indemniser les Polonais d'un antisémitisme réel et effroyable. Mais comme Karski, je pense que non seulement on ne peut pas réduire les Polonais à ce qu'il y a eu de plus honteux en eux, mais en plus que le faire a servi à blanchir d'autres responsabilités.

N. O. - Celles des Alliés, par exemple

Y. Haenel. - Exactement.

N. O. - Jan Karski dit qu'il a échoué...

Y. Haenel. - L'essentiel pour moi dans ce que je n'en finis pas d'apprendre de Karski, c'est que la seule véritable question est celle de la transmission d'une expérience. Des amis m'ont dit : finalement, tu racontes l'histoire d'un échec. Mais pour moi, Jan Karski est l'autre nom de la victoire. Dans les sephirot de la Kabbale, il y en a une qui s'appelle netza'h, la Victoire. Pour moi, Karski est l'histoire d'une netza'h.

Propos recueillis par Bernard Loupias

« Jan Karski », par Yannick Haenel, L'Infini/Gallimard, 188 p.

jan-karski.jpg

 

Cette photo de Jan Karski a été prise à Washington lors de sa première mission (juin-septembre 1943). A la demande de l’ambassadeur Jan Ciechanowski, elle ne fut pas retouchée, afin de laisser visibles les cicatrices causées par les tortures de la Gestapo au cours de l’été 1940.

Source : Jan Karski, Mon témoignage devant le monde, R. Laffont, 2010.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait du livre :  le début.

 

   C’est dans Shoah de Claude Lanzmann. Vers la fin du film, un homme essaye de parler, mais n’y arrive pas. Il a la soixantaine et s’exprime en anglais ; il est grand, maigre, et porte un élégant costume gris-bleu. Le premier mot qu’il prononce est : « Now » (Maintenant). Il dit : « Je retourne trente-cinq ans en arrière », puis tout de suite il panique, reprend son souffle, ses mains s’agitent : « Non, je ne retourne pas... non... non... » Il sanglote, se cache le visage, brusquement se lève et sort du champ. La place est vide, on ne voit plus que des rayonnages de livres, un divan, des plantes. L’homme a disparu. La caméra le cherche : il est au bout d’un couloir, penché sur un lavabo, il se passe de l’eau sur le visage. Tandis qu’il revient à sa place, son nom apparaît à l’écran : « JAN KARSKI (USA) ». Et puis, au moment où il s’assied : « Ancien courrier du gouvernement polonais en exil. » Ses yeux sont très bleus, baignés de larmes, sa bouche est humide. « Je suis prêt », dit-il. Il commence à parler au passé, au passé simple même — comme dans un livre : « Au milieu de l’année 1942, je décidai de reprendre ma mission d’agent entre la Résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil, à Londres. » Cette manière de commencer le récit le protège de l’émotion : on se croirait au début de Dante, mais aussi dans un roman d’espionnage. Il explique que les leaders juifs, à Varsovie, ont été avertis de son départ pour Londres, et qu’une rencontre a été organisée « hors du ghetto », dit-il. On comprend tout de suite que c’est de ça qu’il va parler : du ghetto de Varsovie. Il dit qu’ils étaient deux : l’un responsable du Bund, c’est-à-dire du Parti socialiste juif, l’autre responsable sioniste. Il ne dit pas les noms, il ne dit pas où a lieu la rencontre. Ses phrases sont courtes, directes, entourées de silence. Il dit qu’il n’était pas préparé à cette rencontre. Qu’à l’époque il était très isolé par son travail en Pologne. Qu’il était peu informé. Chacune de ses paroles garde trace de cet empêchement qu’il a eu au début, lorsqu’il est sorti du champ. On dirait même qu’elles sont fidèles à l’impossibilité de parler. Jan Karski ne peut pas occuper cette place de témoin à laquelle on l’assigne, et pourtant il l’occupe, qu’il le veuille ou non. Sa parole s’est brisée d’entrée de jeu parce que, précisément, ce qu’il a à dire ne peut se dire qu’à travers une parole brisée. De nouveau, Jan Karski dit : « Now » : « Maintenant, comment vous raconter ? » Pour se persuader qu’il est bien vivant, qu’il est hors d’atteinte, il rectifie à nouveau sa première phrase : « Je ne reviens pas en arrière. » C’est une phrase qu’il va répéter souvent pendant l’entretien : « Je ne retourne pas à mes souvenirs. Je suis ici. Même maintenant je ne veux pas... » Il voudrait se prémunir contre ses propres paroles, contre ce qu’elles vont révéler. Il ne veut pas que ses paroles l’exposent une fois de plus à l’objet de son récit ; il ne veut pas revivre ça. C’est pourquoi il insiste tant sur la distance : « Je n’en étais pas, dira-t-il. Je n’appartenais pas à cela. » Jan Karski dit que les deux hommes lui décrivent « ce qui arrivait aux Juifs. »

----------------------------------

Yannick Haenel présente son livre dans la vidéo ci-dessous :

 

Partager cet article

5 décembre 2011 1 05 /12 /décembre /2011 16:00

Intentions / Objectifs

   Comme l’an dernier, ce projet s’inscrit dans la volonté affirmée de faire de la classe ATS une classe ouverte sur la vie culturelle. Il permet aussi d’élargir la culture générale des étudiants, ce à quoi nombre d’écoles d’ingénieurs sont à juste titre très sensibles. J’ai retenu cette année trois spectacles dans la programmation de la Comédie : trois pièces enracinées dans des moments forts de l’histoire, moments qui ne manqueront pas de nous ramener au thème au programme en Français-Philosophie, la Justice. La convivialité n'a  pas été oubliée, puisque le  premier spectacle a fourni l’occasion d’une soirée d’intégration, qui a rassemblé étudiants et enseignants autour d’une table après la représentation.

                  Le professeur de Français-Philosophie : D. PHILIPPE, alias Aramis...

Programme

·       L’Entêtement, texte de Raphaël Spregelburd, mis en scène par Marcial di Fonzo Bo et Élise Vigier     // Mercredi 9 novembre à 19h30   C'est en découvrant le tableau de Jérôme Bosch Les Sept Péchés capitaux que l’Argentin Rafael Spregelburd eut le désir d'écrire une série de sept pièces retraçant nos dérives contemporaines. Dans cette série, écrite sur plus de dix ans, L’Entêtement occupe la dernière place, après La Paranoïa. Joué partout en Europe, notamment à la Schaubuhne de Berlin,

   Ici l’action se passe en Espagne, durant les derniers jours de la guerre civile. L'écriture scénique de la pièce est inédite : le premier acte démarre en fin d'après-midi dans la maison du commissaire de la ville ; le deuxième acte reprend la même chronologie, mais cette fois-ci dans la chambre d’une jeune fille ; le troisième acte commence au même moment, mais dans le jardin. Trois versions d’un même temps, des mêmes faits, trois angles de vue sur la guerre. Une tension dramatique particulière, qui fait avancer l’action à la manière d’un roman policier. Une pièce folle et déjantée pour des acteurs de haute voltige, chahutés – pour notre plus grand plaisir – entre comédie et tragédie.  

 

·      Jan Karski (Mon nom est une fiction), d’après le roman de Yannick Haenel, adaptation et mise en scène de Arthur Nauzyciel // Lundi 12 décembre à 19h 

   En 2009, Yannick Haenel publie un roman sur le résistant polonais Jan Karski, cet homme qui, en 1943, rencontra le président Roosevelt pour lui délivrer des informations sur l’extermination des Juifs en Pologne.Mais « Le Rapport Karski » se heurte à l’incompréhension, aux doutes (à l’indifférence?) des Forces Alliées. Puis Jan Karski publie aux États-Unis un livre, Mon témoignage devant le monde, avant de demeurer silencieux pendant plus de trente ans. Troublé par le roman de Yannick Haenel, Arthur Nauzyciel a décidé de l’adapter pour la scène, persuadé que « s’il n’y a pas de limite à la littérature, il ne peut y en avoir au théâtre ». Le théâtre peut faire entendre la voix de ceux qui n’en ont plus et transmettre au plus grand nombre cette tragédie du silence imposé. Au moment où les témoins de l’Holocauste disparaissent, le temps du relais est venu.Pour cette création, Arthur Nauzyciel travaille notamment avec le plasticien polonais Miroslaw Balka, l’un des artistes les plus importants aujourd’hui, exposé dans les grands musées d’art contemporain internationaux. 

·      Woyceck, La Mort de Danton, Léonce et Léna, textes de Georg Büchner, mis en scène par Ludovic Lagarde  // Mercredi 11 janvier à 19h30

 

   La pièce de l'argentin Rafael Spregelburd a été l'occasion pour les étudiants de découvrir le peintre Hiéronymus Bosch, puisque le dramaturge dit s'être inspiré du tableau "Les Sept péchés capitaux" (1475-1480), conservé au musée du Prado, à Madrid. La reproduction ci-dessous vous en donnera une petite idée :

Bosch (Hiéronymus) Les Sept péchés capitaux-1475-1480 M

          "L'Entêtement" ne fait pas partie de la liste "officielle" des péchés capitaux : l'Orgueil, l'Avarice, l'Envie, la Colère, l'Impureté ou Luxure, la Gourmandise, la Paresse (anciennement Acédie, ou paresse spirituelle). C'est une relecture contemporaine, mélange d'orgueil, de colère, et peut-être de paresse spirituelle lorsque les personnages refusent de remettre en cause leurs préjugés, leurs idées commodes.Coup de zoom sur la colère, "ira" en latin :

Bosch-Peches-capitaux--detail--La-colere.jpg

    Parmi les nombreux passages passionnants, la scène 10 de l'acte II propose un dialogue entre le père Francisco, confesseur chargé d'exorciser l'une des filles (fiévreuse, prétendue folle) du personnage principal, le commissaire de la police valencienne Jaume Planc, et John, un milicien anglais parachuté pour venir en aide aux républicains en pleine débâcle, et accessoirement faire quelques dynamitages. Le prêtre défend l'idéal fasciste : 

 

      Père Francisco. - Je ne peux vous assurer que nos plans soient les meilleurs du monde. Mais au moins nous poursuivons une utopie qui a...de l'ordre. Vous prétendez que les hommes peuvent se gouverner eux-mêmes. Une pensée noble. Noble et trompeuse. Vous pensez l'homme comme un individu, mais « beaucoup d'hommes » ne sont malheureusement pas « beaucoup d'individus ». Beaucoup d'hommes c'est une communauté. Individuellement, chaque être humain s'améliore et est capable de se transformer. Par l'action de l'amour. Mais jamais en tant que race. Jamais en tant que communauté. Il n'y a pas de données concrètes d'une quelconque amélioration dans le social. C'est pour ça que cette communauté a besoin de ses institutions. Des institutions qui se placent au-delà de ce que veut l'individu. Ça vous paraît de l'obscurantisme ? Vous ne croyez pas aux petites paraboles bibliques ? Devinez quoi. Moi non plus. Personne n'y croit ! Mais il faut s'appuyer sur quelque chose. Pour que le monde ne se dissipe pas dans du simple hasard. Je ne dis pas que ces solutions soient les meilleures. Je veux dire, même cette monarchie a été...un peu...Je ne nie pas que notre mère la Sainte Église a eu une conduite honteuse. Je ne dis pas non plus que brûler une ou deux églises n'a pas produit indirectement un énorme bénéfice. Je veux dire, ça a renforcé au moins le lien avec la communauté. Et je vous en remercie.

       John. - De rien.

Père Francisco. - J'ai...moi-même...pensé...parfois...à la possibilité de brûler...ma propre...Voyez, les chemins de l'ordre ne sont pas nécessairement droits. Et il faut apprendre à faire quelques raccourcis. Mais cela ne fait pas de moi un monstre.

John. - What's your point ?

Père Francisco. - Je vais vous le dire. Ne vous inquiétez pas. Je vous ai pris pour une apparition, et je vous demande pardon. Vous êtes bien là. Et vous devez avoir vos raisons. Vous êtes un abruti. Et un matérialiste. Vous pensez que je ne sais pas en quoi vous croyez, vous autres ? Je vous ai étudiés, oh oui, beaucoup plus que vous ne nous avez étudiés. Vous croyez en la force. Vous croyez au capital. Vous croyez que ma religion est l'opium du monde. Un miroir illusoire, au mieux un baume, mais pas toujours inoffensif. Vous croyez en une classe ouvrière apprenant à remplacer un credo de mirages par un autre plus réel. C'est pour cela que vous voulez brûler des églises. Ce que vous brûlez, ce sont des symboles, pas des édifices. Ne pensez-vous pas que je souhaite la même chose ? Un credo plus réel ? Une brusque avancée technique qui ferait progresser l'âme humaine autant que la science a fait progresser la médecine, qui prend soin des corps ? Ne le niez pas : brûler les églises est une bonne manifestation de principes. (Il lui tend un trousseau de clés.) En ce moment vous la trouverez sans défense. Et vide. Et si ça peut vous servir à quelque chose : oui. Je l'aime. J'aime cette enfant malade, elle est devenue mon obsession, son corps ardent de fièvre est ma condamnation. Je l'aime. S'il vous plaît.

        John accepte les clefs.

 

Le texte de la pièce est publié aux éditions de L'Arche, mai 2011 / 14€

Partager cet article

Présentation

  • : Le blog de la Vie Culturelle au Lycée Arago
  • : Toutes les informations sur la vie culturelle au Lycée Arago, Reims. Théâtre, cinéma, sorties, activités culturelles, créations...
  • Contact
  • Profil

    • Aramis
    • Ex Référent Culture du Lycée Arago, Reims
    • Ex Référent Culture du Lycée Arago, Reims

    Mode d'emploi

        Destiné aux parents, à toute la communauté éducative, à tous ceux qui souhaitent mieux connaître le lycée, ce blog se veut d'abord informatif, simple d'utilisation.

       Les derniers articles sont en premier. Si vous cherchez une activité particulière, regardez le module "Catégories", ci-dessous : cliquez sur celle qui vous intéresse et vous aurez tous les articles de la catégorie. Vous pouvez aussi laisser un commentaire ou utiliser le formulaire de contact. Bonne visite !

    Recherche

  • Créer un blog gratuit sur overblog.com - Contact - CGU -